dimanche 19 juillet 2015

Virginia Woolf - La lettre, l'être, et le réel - Stella Harrison





"Je suis faite de telle sorte que rien n’est réel que je ne l’écrive ", écrit Virginia Woolf  en 1937. Comment Virginia Woolf, avec l’écriture, fabriqua -t-elle, de façon incessante son traitement du réel ? J.A. Miller disait récemment que l’analyste soumet l’inconscient à un devoir être. Dirions-nous que V. Woolf soumet, en écrivant, le réel à un «  devoir être réalité » ?
À quelle question, quelle rencontre impossible répondrait V. Woolf en recherchant, par la lettre,  le  « moment d’être » ?
À Londres, J.A. Miller disait encore que dans la lettre, ce n’est pas the Being, l’être, qui est recherché mais the  Real. Que chercha à extraire Virginia Woolf, pourtant en quête du « moment of being ?»

 Les auteurs de ce livre ont cependant pris la position de ne pas tenir Virginia Woolf pour une déprimée, une « victime exemplaire » des théories du traumatisme, mais bien plutôt de cerner sa bataille avec les mots contre une douleur d’existence. La lecture de son œuvre révèle la tâche infernale à laquelle elle s’est livrée et les moyens qu’elle a trouvés pour se protéger de ce qu’elle nomme son « horreur ».

Ses textes suivent l’écrivain à la trace, dans ses écrits fictionnels, autobiographiques, et, particulièrement, dans ses écrits les plus tardifs car c’est là que s’exposent de façon fulgurante son ironie et l’éclatement de son monde intérieur.

Seul le recours incessant à l’écriture donne pour elle consistance à la réalité, « sans le secours d’aucun discours établi », comme l’avance Jacques Lacan du « dit schizophrène » dans son texte  «l’Étourdit ». L’écriture de Virginia Woolf témoigne du mystère incessant qu’elle fut pour elle-même sans que l’on puisse ici, toutefois, conclure  qu’écrire  aura  réussi à apaiser sa certitude de    « redevenir folle », hantise confiée à son mari dans la dernière lettre qu’elle lui laissa avant de se suicider.


28 mars 1941
Mon chéri,
J'ai la certitude que je vais devenir folle à nouveau : je sens que nous ne pourrons pas supporter une nouvelle fois l'une de ces horribles périodes. Et je sens que je ne m'en remettrai pas cette fois-ci. Je commence à entendre des voix et je ne peux pas me concentrer.
Alors, je fais ce qui semble être la meilleure chose à faire. Tu m'as donné le plus grand bonheur possible. Tu as été pour moi ce que personne d'autre n'aurait pu être. Je ne crois pas que deux êtres eussent pu être plus heureux que nous jusqu'à l'arrivée de cette affreuse maladie. Je ne peux plus lutter davantage, je sais que je gâche ta vie, que sans moi tu pourrais travailler. Et tu travailleras, je le sais.
Vois-tu, je ne peux même pas écrire cette lettre correctement. Je ne peux pas lire. Ce que je veux dire, c'est que je te dois tout le bonheur de ma vie. Tu t'es montré d'une patience absolue avec moi et d'une incroyable bonté. Je tiens à dire cela - tout le monde le sait.
Si quelqu'un avait pu me sauver, cela aurait été toi. Je ne sais plus rien si ce n'est la certitude de ta bonté. Je ne peux pas continuer à gâcher ta vie plus longtemps. Je ne pense pas que deux personnes auraient pu être plus heureuses que nous l'avons été.



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